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Ms A 72r

Vous connaissez, ma Mère chérie, nos amertumes du mois de Juin et surtout du 24 de l'année 1888, ces souvenirs sont trop bien gravés au fond de nos coeurs pour qu'il soit nécessaire de les écrire... O ma Mère ! que nous avons souffert !... et ce n'était encore que le commencement de notre épreuve... Cependant l'époque de ma prise d'habit étant arrivée ; je fus reçue par le chapitre, mais comment songer à faire une cérémonie ? Déjà l'on parlait de me donner le saint habit sans me faire sortir, lorsqu'on décida d'attendre. Contre toute espérance, notre Père chéri se remit de sa seconde attaque et Monseigneur fixa la cérémonie au 10 Janvier. L'attente avait été longue, mais aussi, quelle belle fête !... rien n'y manquait, rien, pas même la neige... Je ne sais pas si déjà je vous ai parlé de mon amour pour la neige ?... Toute petite, sa blancheur me ravissait ; un des plus grands plaisirs était de me promener sous les flocons neigeux. D'où me venait ce goût pour la neige ?... Peut-être de ce qu'étant une petite fleur d'hiver la première parure dont mes yeux d'enfant virent la nature embellie dut être son blanc manteau... Enfin j'avais toujours désiré que le jour de ma prise d'habit la nature fût comme moi parée de blanc. La veille de ce beau jour je regardais tristement le ciel gris d'où s'échappait de temps en temps une pluie fine et la température était si douce que je n'espérais plus la neige. Le matin suivant, le Ciel n'avait pas changé ; cependant la fête fut ravissante, et la plus belle, la plus ravissante fleur était mon Roi chéri, jamais il n'avait été plus beau, plus digne... Il fit l'admiration de tout le monde, ce fut son jour de triomphe, sa dernière fête ici-bas. Il avait donné tous ses enfants au Bon Dieu, car Céline lui ayant confié sa vocation, il avait pleuré de joie et était allé avec elle remercier Celui qui «lui faisait l'honneur de prendre tous ses enfants».